J'ai lu il y a peu un bouquin de Chabrol dont l'action se déroule dans la région où je vis, les Cevennes. Haut lieu du protestantisme français. On s'y massacrait joyeusement au sein parfois d'une même famille.

Il y a toujours des familles catholiques et d'autres protestantes mais les antagonismes disparaissent. Cela dit il y a encore des vieux protestants qui refuseront d'ouvrir l'édition lozerienne du journal local car elle est éditée dans le nord du département, très catholique. Un vieux protestant ( et communiste) mort récemment refusait de passer devant l'église.

Le clivage était aussi politique: les protestants votaient pcf et les cathos à droite.

Comme beaucoup de choses, on nous parle des Hugienots (Protestants français) comme des protagonistes d'une lutte, mais sans nous expliquer pourquoi ces gens voulaient tant se démarquer des Catholiques, au point de supporter une guerre.

J'aurais des choses à dire sur le Protestantisme, mais pas assez étayées, aussi je préfère pas.

LES HUGUENOTS

Florac, petite ville au fond du vallée, coincée entre les granits du Mont Lozère et le calcaire du causse Méjean. C'est l'entrée des Gorges du Tarn, les contreforts qui dominent les maisons resserrées sur la rive gauche du Tarnon annoncent déjà la couleur. Ces rochers, qui ressemblent à des tours immenses, surplombent la ville. Ils étaient souvent l'objet de mes explorations. J'y recherchais la beauté, le silence et un peu l'exploit physique. Un jour j'y ai fait une découverte fantastique, inattendue.

D'en bas, on ne le voit pas mais ces falaises vertigineuses sont précédées de plusieurs falaises avant d'arriver à la grande muraille. Les séparations sont des petites corniches de un à quelques mètres de large auxquelles on accède en escaladant des éboulis ou des ravines d'orages. Ces chemins horizontaux collés aux parois forment un labyrinthe.

Au détour d'un sentier, j'ai la surprise de découvrir une cabane bien cachée dans cette cathédrale de dolomites. Une belle cabane en pierres de taille. Ce n'est pas un simple abri de berger. Les finitions des angles, la régularité des coupes témoignent d'une œuvre crée pour un usage plus grand. L'intérieur me confirme l'importance du lieu, les lucarnes sont des vitraux, juste des figures géométriques mais ce jeu de lumières colore la pièce nue et lui donne une aura mystique. Les cours de mon professeur d'histoire, le génial Monsieur Nédélec, un passionné et un passionnant conteur, me reviennent en mémoire. Je suis peut-être dans un temple protestant. Si c'est le cas, les pratiquants du culte réformé gravissaient la montagne abrupte pour honorer leur foi en toute tranquillité, presque loin des persécutions et des tracasseries "administratives".

D'après mon prof, les progrès de l'imprimerie ont permis la diffusion du "Premier Livre" : La Bible. Ce qui, pour l'église catholique, permettrait une évangélisation encore plus large à travers le monde. Mais comme toute médaille, il y a un revers. L'imprimerie favorise la lecture et donc la relecture des écritures des textes originaux. L'église catholique a beaucoup dérapé dans l'interprétation des textes sacrés et des gens comme Calvin et Luther dénoncent le dévoiement et l'enrichissement de L'église papale. De religieux, le mouvement s'étend à la sphère politique. Des rois et des princes trouvant là le moyen de s'affranchir de la tutelle du Pape. Les rois de droit divins y voient une remise en cause de leurs autorités, ce qui est effectivement le cas. Ce sont alors les guerres de religion puis les persécutions. Mon prof avait évoqué les dragonnades du temps du grand Roi Soleil, Louis XIV.

Ou la phrase d'Henri IV pour s'asseoir sur le trône de France : "Paris vaut bien une messe". L'Edit de Nantes.

Le massacre de la Saint-Barthélémy.

Les camisards qui ont mené la vie dure aux forces royales.

Les protestants étaient devenus un état dans l'Etat mais le pouvoir, comme les mafias, n'aime pas la concurrence. Les religions non plus d'ailleurs n'aiment pas la concurrence. La religion catholique qui d'une part assurait le contrôle des âmes, donc la stabilité sociale, permettait aussi le recensement de la population en assurant la tenue des registres paroissiaux. Toutes les naissances, tous les baptêmes, tous les décès, tous les mariages étaient soigneusement enregistrés.

Les protestants échappaient à ce comptage, pour le recouvrement de l'impôt il y avait peut-être un manque à gagner et comme aucun contrôle ne pouvait être effectué, le service des finances n'appréciait pas cette situation. Le résultat est que même en période d'accalmie, il y avait une pression administrative et psychologique constante sur les protestants.

En fin de compte ce fut une erreur pour la France et une bénédiction pour les pays réformistes. Beaucoup de protestants,(généralement ce sont les gens jeunes, dynamiques, dans la force de l'âge), ont fuient la France pour des contrées plus accueillantes. La France a perdu une richesse sociale, humaine et elle a participé à la construction de la Prusse (future rivale) et de l'Angleterre (déjà rivale). C'est l'effet papillon des décisions politiques.

Devant ce lieu que je pense être un ancien lieu de culte, je me trompe peut-être, les épisodes sanglants des guerres de religion deviennent concrets. Pour vivre leurs foi, des hommes et des femmes n'hésitaient pas à grimper pendant une heure (ou plus) sur une montagne abrupte en suivant des sentiers escarpés.

Je n'aime pas les religions mais je ne peux m'empêcher d'admirer la force de leurs cœurs, ils ont combattu une secte corrompue pour une religion plus respectueuse du message du christ. Du moins c'était leurs convictions.

L'histoire en générale est enseignée de manière simplifiée, mais il y a tant à dire qu'il est sans doute difficile de faire autrement. Quand j'étais à l'école on a parlé du caractère sanglant des guerres de religion, du bon roi Henri qui avait su y mettre temporairement fin, et de la suite jusqu'à l'expulsion des Huguenots par Louis XIV.

Ce que l'on racontait à l'école était issue d'une légende historique construite au 19ième siècle où l'on mettait en valeur des personnages que l'on trouvait exemplaire. On cherchait à mettre en valeur "la civilisation", mais on ne classait pas le catholicisme comme plus "civilisé" que le protestantisme (ou plutôt les protestantismes). Cette expulsion était plutôt vue comme un épisode de la décadence du roi Soleil qui entrainait le pays dans son malheur à la fin du 17ième siècle.

Ensuite on ne parlait plus du destin de ces populations qui ont contribué à faire la richesse et le succès de nos voisins anglo-saxons et plus tard des États-Unis.

Pour répondre à ma propre question, j'ai fait ma scolarité dans des établissements très catholiques, en Vendée. La façon dont était décrit les Huguenots étaient caricaturale et extrêmement péjorative. On nous parlait de traîtres et d'hurluberlus. On ne nous a jamais vraiment décrit les conflits, mais apparemment c'était une bonne chose et s'ils ont quasiment disparu du paysage français, ce serait simplement parce qu'ils faisaient moins d'enfants.

Je sentais bien que ces explications n'étaient pas très claires, ni honnêtes, mais parce que j'ai préféré m'éloigner des religions en général, je n'ai jamais vraiment cherché activement à en savoir plus sur l'histoire des Huguenots.

Ce n'est que depuis que j'habite à l'est de l'Allemagne que j'ai vraiment pu découvrir leur histoire, la façon dont ils ont été persécutés en France et ce qu'ils ont apporté dans les pays qui les ont accueilli. J'ai eu la chance de lire certaines de leurs lettres manuscrites dans des musées, ainsi que d'autres documents d'époque.

Ils furent plusieurs centaines de milliers à avoir fuit les persécutions qu’ils subissaient en France, en plusieurs vagues d’émigrations, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Beaucoup de Huguenots ont trouvé refuge en Prusse et en Saxe. Le royaume de Prusse a massivement accueilli les réfugiés Huguenots au point qu'au XIIIe siècle, les Français représentaient près du quart de la population de Berlin.

Une grande partie des Huguenots vivaient alors du commerce et de l’importation de produits de luxe. Parmi les réfugiés Huguenots, il y avait également des écrivains, des scientifiques, des artistes ou encore des cuisiniers qui étaient très appréciés, notamment à la cours de Prusse.

La nourrice de Frédéric le Grand était une Huguenote. Ses cuisiniers, décorateurs, amis proches et intellectuels préférés étaient souvent des Huguenots. Dans les palais et les musées historiques que je visite, il est rare de ne pas y voir une œuvre, une citation ou une mention d’un Huguenot. Un musée leur est même dédié à Berlin.

Les Huguenots ont fondé des écoles françaises et ont construit des églises et cathédrales. Ils ont également participé à la création de l'Académie Royale des Sciences et des Lettres de Berlin. Ils ont eu une grande influence sur la langue allemande et l’art de vivre dans ma région actuelle.

Aujourd’hui encore, ont peut voir l’influence culturelle immense qu’ils ont eu à l’est de l’Allemagne. On peut le dire, ils ont magnifiquement contribué au rayonnement de la culture française dans le monde.

(Une partie de mon texte ci-dessus est repris d'une de mes réponses sur Quora auquel je n'ai plus complètement accès car mon compte y est désactivé.)

« Les réfugiés français établissent des fabriques dans le Brandebourg »

Photo prise au musée des Huguenots à Berlin

« Edit de sa Majesté le roi de Prusse,

En vertu duquel, tous les réfugiés de France et d'ailleurs,

qui se sont établis, ou s'établiront ci après dans ses États,

à cause de la religion protestante,

sont naturalisés et égalés aux Sujets naturels allemands. »

Photo prise au musée des Huguenots à Berlin

Café Riquet à Leipzig

Plus de lecture sur le sujet :

1. Les Français dans l'histoire berlinoise
2. L'Edit de Potsdam
3. Emigration messine à Berlin à la suite de la révocation de l'édit de Nantes
4. Le refuge huguenot en Brandebourg