LES HUGUENOTS

Florac, petite ville au fond du vallée, coincée entre les granits du Mont Lozère et le calcaire du causse Méjean. C'est l'entrée des Gorges du Tarn, les contreforts qui dominent les maisons resserrées sur la rive gauche du Tarnon annoncent déjà la couleur. Ces rochers, qui ressemblent à des tours immenses, surplombent la ville. Ils étaient souvent l'objet de mes explorations. J'y recherchais la beauté, le silence et un peu l'exploit physique. Un jour j'y ai fait une découverte fantastique, inattendue.

D'en bas, on ne le voit pas mais ces falaises vertigineuses sont précédées de plusieurs falaises avant d'arriver à la grande muraille. Les séparations sont des petites corniches de un à quelques mètres de large auxquelles on accède en escaladant des éboulis ou des ravines d'orages. Ces chemins horizontaux collés aux parois forment un labyrinthe.

Au détour d'un sentier, j'ai la surprise de découvrir une cabane bien cachée dans cette cathédrale de dolomites. Une belle cabane en pierres de taille. Ce n'est pas un simple abri de berger. Les finitions des angles, la régularité des coupes témoignent d'une œuvre crée pour un usage plus grand. L'intérieur me confirme l'importance du lieu, les lucarnes sont des vitraux, juste des figures géométriques mais ce jeu de lumières colore la pièce nue et lui donne une aura mystique. Les cours de mon professeur d'histoire, le génial Monsieur Nédélec, un passionné et un passionnant conteur, me reviennent en mémoire. Je suis peut-être dans un temple protestant. Si c'est le cas, les pratiquants du culte réformé gravissaient la montagne abrupte pour honorer leur foi en toute tranquillité, presque loin des persécutions et des tracasseries "administratives".

D'après mon prof, les progrès de l'imprimerie ont permis la diffusion du "Premier Livre" : La Bible. Ce qui, pour l'église catholique, permettrait une évangélisation encore plus large à travers le monde. Mais comme toute médaille, il y a un revers. L'imprimerie favorise la lecture et donc la relecture des écritures des textes originaux. L'église catholique a beaucoup dérapé dans l'interprétation des textes sacrés et des gens comme Calvin et Luther dénoncent le dévoiement et l'enrichissement de L'église papale. De religieux, le mouvement s'étend à la sphère politique. Des rois et des princes trouvant là le moyen de s'affranchir de la tutelle du Pape. Les rois de droit divins y voient une remise en cause de leurs autorités, ce qui est effectivement le cas. Ce sont alors les guerres de religion puis les persécutions. Mon prof avait évoqué les dragonnades du temps du grand Roi Soleil, Louis XIV.

Ou la phrase d'Henri IV pour s'asseoir sur le trône de France : "Paris vaut bien une messe". L'Edit de Nantes.

Le massacre de la Saint-Barthélémy.

Les camisards qui ont mené la vie dure aux forces royales.

Les protestants étaient devenus un état dans l'Etat mais le pouvoir, comme les mafias, n'aime pas la concurrence. Les religions non plus d'ailleurs n'aiment pas la concurrence. La religion catholique qui d'une part assurait le contrôle des âmes, donc la stabilité sociale, permettait aussi le recensement de la population en assurant la tenue des registres paroissiaux. Toutes les naissances, tous les baptêmes, tous les décès, tous les mariages étaient soigneusement enregistrés.

Les protestants échappaient à ce comptage, pour le recouvrement de l'impôt il y avait peut-être un manque à gagner et comme aucun contrôle ne pouvait être effectué, le service des finances n'appréciait pas cette situation. Le résultat est que même en période d'accalmie, il y avait une pression administrative et psychologique constante sur les protestants.

En fin de compte ce fut une erreur pour la France et une bénédiction pour les pays réformistes. Beaucoup de protestants,(généralement ce sont les gens jeunes, dynamiques, dans la force de l'âge), ont fuient la France pour des contrées plus accueillantes. La France a perdu une richesse sociale, humaine et elle a participé à la construction de la Prusse (future rivale) et de l'Angleterre (déjà rivale). C'est l'effet papillon des décisions politiques.

Devant ce lieu que je pense être un ancien lieu de culte, je me trompe peut-être, les épisodes sanglants des guerres de religion deviennent concrets. Pour vivre leurs foi, des hommes et des femmes n'hésitaient pas à grimper pendant une heure (ou plus) sur une montagne abrupte en suivant des sentiers escarpés.

Je n'aime pas les religions mais je ne peux m'empêcher d'admirer la force de leurs cœurs, ils ont combattu une secte corrompue pour une religion plus respectueuse du message du christ. Du moins c'était leurs convictions.