Ce jour m'a laissé peu de souvenir. Le grand évènement symbolique c'était la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. L'impossible est arrivé, et tout le reste de l'histoire semble en avoir découlé. Il y a eu en particulier la chute de l'URSS, et ce qui se passait en Russie occupait plus les esprits.

Il me semble que les Allemands sont à moitié content que cela soit arrivé. Cela a été la fin d'une humiliation historique, et sans doute une aubaine pour l'ancienne Allemagne de l'Est qui était en manque de bras. Toutefois je ne suis pas certain que l'union soit complète dans les têtes et dans les faits.

Mon expérience est que les Allemands vivant à l'Ouest ne pouvaient s'empêcher de souligner qu'une personne venait de l'ancienne Allemagne de l'Est, comme si cela devait expliquer beaucoup sur elle. Cela semble avoir diminué d'après Wikipédia.

La linguiste Doris Steffens de l'Institut de la langue allemande répertorie en 2014 les termes Wessi et Ossi comme un exemple des difficultés du processus d'unification. Leurs attributions négatives ont en grande partie perdu leur importance en 2014. En effet, ces notions dégradantes telles que « Jammerossi » ou encore « Super-Wessis » sont aujourd'hui beaucoup moins entendues que lors de la période qui suivit la chute du Mur

Une difficulté pour l'unification est que l'Allemagne est un pays fédéral, avec des accents plus marqués qu'en France, et une pratique des dialectes qui peut encore exister. C'est à la fois un et plusieurs pays, et un État peut facilement trouver qu'il est mieux que les autres. Il est possible que les Bavarois se sentent supérieur par certains côtés aux habitants de Basse-Saxe, et dans ce contexte c'est très bien d'avoir des États nouveaux à l'est comme bouc émissaire que tous les autres peuvent trouver inférieur.

L'ALLEMAGNE RÉUNIFIÉE

Je n'ai pas souvenir d'un immense bouleversement au sein de l'Europe et encore moins dans le monde lors de la réunification des deux Allemagne. C'est d'ailleurs ce qui m'avait surpris à l'époque, comme ci c'était un non événement. C'était considéré comme un processus normal et inéluctable.

A ce moment il m'était venu deux réflexions.

Passé la première période d'euphorie générée par la reconstruction d'une histoire commune mise en parenthèse pendant presque cinq décennies, l'intégration de la RDA dans la puissante économie Ouest Allemande pourrait créer une société de seconde zone. C'est d'ailleurs le sentiment qui existe actuellement dans l'ex RDA. C'est un peu logique, pendant plusieurs décennies, les deux entités ont évolué dans deux mondes différents, avec des codes différents, des fonctionnements différents, cela peut conduire à de l'incompréhension. Mais le sentiment d'appartenir à une même nation, à une même histoire, d'avoir la même langue, a pu atténuer les difficultés. Mais surtout l'Allemagne de l'ouest a massivement investi pour amener l'ex RDA au même niveau économique. L'écart existe toujours mais il s'est réduit.

Ma deuxième réflexion concerne la puissance de l'économie allemande, déjà que c'était la première puissance européenne, avec cet agrandissement de la population, de la surface, elle devrait devenir l'hyper puissance de l'Europe.

Comme le reste du monde, l'Allemagne a eu quelques soucis avec l'économie mais déjà les problèmes semblent derrière.

Je vis moi-même à Potsdam, dans le Brandebourg. Cette région faisait autrefois partie de la RDA. Aujourd'hui, il y fait incroyablement bon vivre, au point que certaines villes connaissent un fort embourgeoisement. Potsdam a été en partie restaurée, on y construit des logements sociaux ou destiné à la classe moyenne dans un style néo-baroque ou art déco, il y a souvent des animations et des fêtes accessibles gratuitement, et je dirais qu'il règne généralement une grande confiance et un sentiment de solidarité entre les habitants. Les villages aux alentours sont tout aussi charmants.

Quand je voyage vers l'ouest du pays, je ressens une certaine différence dans les mentalités et la façon de vivre. C'est subtil, mais bel et bien présent. Chaque région a évidemment, comme en France, ses spécificités. Mais l'expérience de vie des Allemands de l'Est a clairement façonné leur vision des choses, de la politique à la conception de la liberté, jusqu'à la manière de consommer.

Il n'est pas surprenant que des personnes ayant connu l'époque de la Stasi, puis s'étant senties trahies par l'Allemagne de l'Ouest après la réunification, soient plus méfiantes, voire défiantes envers les autorités, et soient davantage séduites par certains discours alternatifs, voire populistes, qu'ils soient d'extrême-droite ou d'extrême-gauche.

Aujourd'hui encore, de nombreuses inégalités persistent. Selon certaines sources, moins de 2% des élites dirigeantes en Allemagne sont originaires de l'Est. La plupart des métiers prestigieux dans le Brandebourg sont occupés par des Allemands de l'Ouest ou des ingénieurs étrangers, mais cela est heureusement en train de changer lentement.

Je n'ai pas retrouvé l'article en question, mais il y a quelque temps, j'avais lu dans le Tagesspiegel que même les jeunes nés après la chute du Mur se sentaient toujours plutôt comme des "Ossis". Parfois, il m'arrive de lire en ligne des propos condescendants et insultants de la part de certains Allemands de l'Ouest envers ceux de l'Est. Il s'agit généralement de personnes d'un certain âge. Je peux comprendre que cela n'aide pas à établir des relations très cordiales.

Au-delà des différences liées à cette séparation du pays, je pense qu'il y a aussi des différences culturelles bien plus anciennes. À l'est de l'Allemagne, il y a eu quelques peuples slaves, et cela a également contribué à apporter des influences variées dans cette belle région. De plus, l'est du pays a tendance à être davantage protestant, tandis que l'ouest est plutôt catholique. Pour avoir vécu dans des pays majoritairement protestants et d'autres plutôt catholiques, j'ai constaté des différences notables dans la façon dont ces confessions ont façonné les cultures. Cela signifie aussi que la plupart des huguenots venus en Allemagne se sont surtout installés à l'Est, notamment dans le Brandebourg, et ont apporté une grande richesse culturelle, artistique, artisanale, culinaire et industrielle.

Cela dit, je suis optimiste. Je pense que de plus en plus de personnes visitent l'Est du pays, ce qui leur permet de découvrir la beauté de ses villes et d'apprécier la sympathie de ses habitants. Cela est primordial pour mettre fin aux clichés nuisibles et restaurer une certaine fierté nationale.

Sur Netflix, il y a de plus en plus de films et séries, parfois amusants, qui se déroulent à l'est du pays, voire à l'époque de la RDA. Une de ces séries est Kleo, que je recommande vivement. Il y a aussi de plus en plus de documentaires sur les parcs naturels et les villes à travers le pays. Je vois bien que des efforts sont faits pour montrer l'Est et l'Ouest à égalité.

Enfin, l'Allemagne souhaite organiser les JO de 2040, pour célébrer les 50 ans de la réunification, et aimerait que ces jeux se déroulent dans plusieurs villes du pays, de l'Ouest à l'Est.